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L’importance de l’électricité dans les Wardley Maps : l’exemple du black-out espagnol de 2025

Mathieu Jolly
Auteur
Introduction : dépendance de l’économie à l’électricité
L’électricité est distribuée comme une commodité en Europe avec la présence d'un large réseau de distribution et d'une production centralisée. L’électricité est tellement commode et omniprésente dans l’Union européenne qu’il s’agit juste de se servir pour construire par-dessus. Nous sommes conscient.e.s de l'omniprésence de l'électricité, mais l’électricité est une commodité qu’on ne détaille pas dans la carte de Wardley suivante. Pourtant, le black-out de la péninsule ibérique (Espagne + Portugal) en 2025, nous rappel l'importance et la fragilité du réseau électrique.
La première carte du livre de Simon Wardley introduit déjà le composant électricité (figure suivante). Alors Simon Wardley introduit le repère de la chaîne comme étant le bénéficiaire final, ici le Client tout en haut de la chaîne de valeur, le composant électricité, le plus profond dans la chaîne de valeur, est selon moi aussi un repère. En effet, le composant électricité est déterminant dans la compréhension de l’évolution ; dans la compréhension de la position des composants dans l’évolution Dans cette carte, l’électricité omniprésente dans la vie de chaque européen et de chaque européenne, serre de référence commune pour comprendre la carte.
Si tous les systèmes contemporains dépendent de l’électricité due à l’omniprésence de l’électronique et des technologies de l’information, les machines qui fonctionnent aux énergies fossiles dépendent moins du réseau électrique. Ainsi, en Espagne, les voitures continuaient de rouler même sans électricité alors que le métro et les lignes de train étaient à l’arrêt. Il reste fondamental de comprendre la complexité du réseau électrique, d’être capable de le représenter sur une carte de Wardley, de comprendre les systèmes desquelles naissent les commodités, d’identifier les changements de paradigmes qui changeront les règles du jeu pour nous aider à décider.
Dépendance de l’électricité au pétrole
L’électricité est un excellent vecteur d’énergie. Elle est le produit d’une machine tournante ou de la chimie des matériaux dans le cas de la pile à combustible ou les panneaux solaires. La figure ci-dessous détaille ce sur quoi repose l’électricité qui sort des prises de nos murs. Le mix énergétique peut être détaillé. Celui de la chaîne de valeur suivante contient cinq moyens de production :
- STEP / Barrages,
- Éoliennes,
- Centrales nucléaires,
- Photovoltaïques
- Centrales thermiques
Ce mix est incomplet, mais représente correctement les moyens de production espagnols.
En Espagne, la sortie du black-out s’est fait en 20 heures. Une unité de mesure de la longueur d’un est le client-heure. Cette donnée n’est pas encore disponible, mais il semblerait que ce soit un redémarrage rapide selon Alfonso Damiano cité dans cet article.
Vincent Mignerot explique que le rétablissement du réseau espagnol s’est appuyé sur la capacité d’allumage autonome des centrales thermiques pour rétablir le courant. Les centrales thermiques ont joué le rôle de démarreur pour les moyens de productions qui nécessitent de l’électricité pour démarrer.
Dans la chaîne de valeur précédente, cela est indiqué par les connexions entre les moyens de production de substitution (Centrale nucléaire, éoliennes, et centrale photovoltaïque) et le composant Centrale thermique qui devient une de leurs dépendances. La dépendance aux énergies fossile reste de bien réelle.
Transformation des moyens de production, des changements à risque
La doctrine de coupure, c'est-à-dire d'isolation du réseau d'un des moyens de production pour sa mise en sécurité en cas des dépassements des seuils de tolérance (50±0,5 Hertz et 220±22 Volt) du réseau, était historiquement de quelques minutes, car ce sont des machines de production tournantes lourdes avec une inertie d’arrêt importante qui produisait le courant. Leur inertie les rend insensibles aux variations du réseau, leur donnant l’avantage de lisser la tension et la fréquence du courant du réseau.
L'arrivée des panneaux solaires qui produisent du courant continu nécessite un onduleur dont la technologie est capable d’isoler l'outil de production du réseau en quelques millisecondes à la détection de variation des tolérances du réseau. La réactivité des technologies solaires a peut-être entraîné une réaction en chaîne, entrainant la perte 15 GW de production de solaire en quelques secondes. C’est une des explications envisagées.
La carte de Wardley ci-dessous illustre la coexistence des deux doctrines de coupure qui émergent des technologies elle-même. C’est parfaite illustration du schéma climatique de coévolution.
La coexistence des technologies historiques avec de nouvelles technologies entraine la coévolution de pratiques de coupure, mais plus largement la possibilité de décentraliser le réseau. Une pratique dans laquelle le Pakistan s’engage.
Centralisé, décentralisé ou les deux : l’ouverture d’autres modèles de réseaux électriques contemporains
Depuis 2015, le Pakistan, pays de 241 millions d’habitants, a connu trois black-out majeurs. Son réseau électrique est très instable, le positionnant loin des standards de commodité des réseaux de l’Union européenne. Contrainte certaine pour le développement économique du pays, cela ouvre la porte à l’autonomisation des acteurs économiques, notamment depuis que le coût des panneaux solaires a drastiquement baissé. Ainsi, en 2024, 22 GW de panneau photovoltaïque ont été installés au Pakistan selon la revue CleanTechnica :
C'est plus de solaire que ce que le Canada a installé au total. C'est plus que ce que le Royaume-Uni a ajouté ces cinq dernières années.
La carte de Wardley ci-dessous illustre la situation du Pakistan et la politique menée par l’État pour favoriser les installations indépendantes. En baissant les taxes sur l’importation des panneaux solaires, ce moyen de production devient une réponse très compétitive à l’instabilité du réseau centralisé.
Historiquement, les pays industrialisés ont centralisé leurs moyens de production et développé des réseaux hyper connecté, reléguant la décentralisation aux générateurs de secours pour les activités sensibles. Avec l’arrivée des ERNi les réseaux centralisés s’adaptent et accueillent ces transformations, tout en préservant le niveau de qualité exigé par le marché. Cependant, ces transformations ne sont pas sans risque et la nature décentralisé du photovoltaïque, par exemple, questionne sa compatibilité avec un réseau centralisé.
Dans la situation du black-out ibérique, l’hypothèse de la réaction en chaîne de déconnexion des centrales photovoltaïques espagnoles montre l’ampleur du risque que peut entrainer des technologies mal adaptées dans une succession de problèmes. Le Pakistan, non embarrassé par l’inertie d’un modèle symbole de qualité et origine de la prospérité du modèle européen, construit un réseau hybride entre production centralisée et décentralisée, ouvrant la porte à une pratique peut être plus adaptée aux nouveaux moyens de productions intermittents et décentralisés.
Résilience
L’intégration de nouvelle technologie de production depuis 10 ans, l’augmentation de la demande, la raréfaction des ressources, la modeste planification et la libéralisation des marchés de l’électricité rendent la question des réseaux électrique au moins compliqué, voire complexe. Résultante de cette complexité, la gestion de la crise du black-out espagnol peut être illustré par le framework Cynefin de Dave Snowden :
Étape 1 (situation nominale) : le réseau électrique est à l’équilibre, le maintenir est une question compliquée, mais des experts qualifiés s’en occupent.
Étape 2 : réaction en chaîne qui dure 5 secondes, la confusion règne dans les centres de contrôle : perte de 15 GW de production électrique.
Étape 3 : les systèmes tentes d’équilibrer la demande, quelques flashes, en vain : variation chaotique des caractéristiques de l’électricité pouvant créer des dégâts irrémédiables sur les matériels électriques espagnols.
Étape 4 : confinement de tous les moyens de production et black-out généralisé pour la sécurité du réseau. La situation se stabilise : nous sommes dans la phase liminale du chaos, à la frontière avec le domaine complexe. Cette contrainte sur le système permet d’envisager une solution.
Étape 5 : les équipes relancent le réseau, ça ne pourrait pas marcher, le risque est énorme. La situation est complexe et risque de diverger si les tests ne sont pas bons.
Étape 6 : les retours sur la méthode de black-start sont positifs, il est désormais possible de généraliser le retour de l’électricité. Nous sommes dans la phase de transition entre le domaine complexe et le domaine compliqué.
Étape 7 (retour à la normale) : l’électricité est de retour, le réseau électrique redevient une chose compliquée, dont la gestion nominal fait consensus. La situation est de retour dans le domaine du compliqué.
La rapidité d redémarrage du réseau démontre aussi sa résilience. Dans l’hypothèse où le black-out aurait duré plusieurs jours, les systèmes de secours auraient atteint leur limite, rendant la situation encore plus chaotique. La question de l’électricité, montre aussi que la question, la dépendance des chaînes de valeur à certaines ressources doivent être étudiés pour les adapter à un futur ou les énergies fossiles (gaz, pétrole) ne seront plus abondantes et contraindront le système. De plus, en fonction du contexte et de la problématique, les cartes de Wardley peuvent aider à décomposer le système.
Les cartes de Wardley sont particulièrement utiles pour mettre en évidence les écarts d'évolution entre différentes technologies au sein d'un même système. Dans le cas du réseau électrique espagnol, elles révèlent le décalage entre les technologies historiques et émergentes, notamment en termes de doctrine de coupure. Ces différences de maturité peuvent créer des points de tension lors de la transformation du système.
La représentation systémique qu'offrent les cartes de Wardley permet également d'anticiper les problèmes potentiels lors de la transformation d'un système complexe. En visualisant les interdépendances et les niveaux de maturité des différents composants, il devient possible d'identifier les zones de fragilité et d'adapter les stratégies de transformation en conséquence. Cette approche aurait pu être précieuse dans l'anticipation des risques liés à l'intégration massive des énergies renouvelables dans le réseau électrique espagnol.
Références
- Panne de courant en Espagne et au Portugal : le mystère des cinq secondes où le réseau électrique a flanché — Fabien Magnenou — 30 avril 2025 — https://www.francetvinfo.fr/monde/espagne/panne-de-courant-en-espagne-et-au-portugal-le-mystere-des-cinq-secondes-ou-le-reseau-electrique-a-flanche_7218030.html#xtor=CS2-765-
- Ce que les pannes du réseau électrique en Espagne et au Portugal peuvent nous apprendre (italien) — Gruppo d'Intervento Giuridico — 5 mai 2025 — https://gruppodinterventogiuridicoweb.com/2025/05/05/che-cosa-puo-insegnare-il-blackout-della-rete-elettrica-in-spagna-e-portogallo/
- Mixe énergétique du Pakistan : https://app.electricitymaps.com/zone/PK/72h/hourly
- Blackout en Espagne : l’électricité n’est pas une source d’énergie — Vincent Mignerot — https://www.defienergie.tech/blackout-espagne-electricite-pas-source-energie/
- Carte — Ce que m'apprend le blackout de la péninsule ibérique — Partie 4 : doctrines de coupure — https://mapkeep.com/MathieuJolly/.wmp/01JTFTMJCE7EHK1KD2RZ88KS16
- Carte — Ce que m'apprend le blackout de la péninsule ibérique — Partie 3 : le Pakistan un autre modèle — https://mapkeep.com/MathieuJolly/.wmp/01JT3Q5QDZ1BPC1Y7W4TV004AY
- Carte — Ce que m'apprend le blackout de la péninsule ibérique — Partie 2 : dépendant au STEP et thermique — https://mapkeep.com/MathieuJolly/.wmp/01JT3KM2DF0AWZ8TNE69HA57NP
- Carte — Ce que m'apprend le blackout de la péninsule ibérique — Partie 1 : l'électricité, une commodité en Espagne — https://mapkeep.com/MathieuJolly/.wmp/01JSZ363M44Y0J9X4V8V6N3SBV