Article
Chaîne de valeur de Wardley des méthodes LEAN, SixSigma, 8D, PDCA, Agile, TOC et carte de contrôle dans un contexte industriel

Mathieu Jolly
Auteur
Contexte de l’étude
Explorons ensemble la décarbonation de l'industrie en nous concentrant sur la maximisation de la viabilité écologique et économique des TPE et PME industrielles par le prisme de la performance industrielle. Notre exploration démarre par une analyse du paysage des outils qui participent à la performance industrielle des entreprises. Autrement dit, nous cherchons à comprendre les bénéfices d'usage des outils du management de la qualité dans le secteur industriel. La chaîne de valeur qui dessine une partie du terrain observé est présentée dans cet article. Les spécificités de lecture de l'étude sont précisées dans la première partie. Puis, un focus est fait sur chaque méthode. Enfin, nous verrons qu’à la différence du bénéfice d’usage, la question du contexte d’usage ou du contexte d’utilité est généralisable à toutes les méthodes grâce à la théorie de l’évolution des marchandises en milieu compétitif de Simon Wardley.
Lecture
La qualité dans les entreprises et plus particulièrement dans l’industrie est un levier de satisfaction client, d’optimisation des coûts, de respect des exigences réglementaires. Activité indispensable et intrinsèque au métier, un archipel d’outils permet de la mesurer ou de l’organiser à l’échelle de l’entreprise. La chaîne de valeur ci-dessous, aussi imparfaite soit-elle, explore les interconnexions entre le périmètre des huit méthodes de mesure de la qualité ou de gestion de la qualité :
- Gestion de la qualité :
- Lean manufacturing
- Six Sigma
- TOC : Theory Of Constrain
- 8D : 8 disciplines
- PDCA : Plan Do Check Act
- Méthodes agiles
- Mesure de la qualité :
- Carte de contrôle
Cette exploration vise à illustrer et comprendre le périmètre de chaque méthode. Les frontières de chaque framework sont délimitées par les bordures d’un rectangle. Ces frontières repliées (figure n° 1) nous donnent une vision macro du système de management de la qualité en contexte industriel.
Toujours dans une logique de lecture hiérarchique de la carte, le niveau de détail suivant se trouve à l'intérieur des périmètres de chaque outil. Les périmètres dépliés permettent de visualiser le système de chaque méthode. Comme le montre la figure suivante, dans la partie supérieure, en jaune, du périmètre se trouvent les capacités d'usage auxquelles répond chaque outil du framework, alors que dans la partie inférieure, en bleu, se trouvent les outils du framework qui supportent ces usages.
Pour continuer d’explorer et comprendre le fonctionnement de chaque framework, la carte suivante décrit, de manière incomplète mais suffisante, les composants de chaque framework. Dans le contexte de l’étude, certains outils sont interconnectés. La lecture de la chaîne de valeur reste identique à la méthode Wardley.
La lecture d’une chaîne de valeur démarre par l’identification du repère de la chaîne de valeur. C’est ce point qui sert d’ancrage à la chaîne de valeur. Il apporte un nouvel élément de contexte. Dans la carte ci-dessous, le composant le plus haut sur la carte est le point de repère. Le nœud du repère contient une silhouette, car c’est toujours le bénéficiaire qui est décrit. Le bénéficiaire de la chaîne de valeur peut être le client, la cliente, l’usager, l’utilisateur, l’utilisatrice, ou l’actionnaire, le manager ou la manageuse et le persona... Il est nommé le plus précisément possible. Il peut y avoir plusieurs repères.
Du repère découle la chaîne de valeur. Dans sa version la plus simple, c’est un enchaînement de nœuds interconnectés par une relation de besoin. Le nœud supérieur, c'est-à-dire le plus haut ou le plus proche du repère, a besoin du nœud inférieur qui lui est connecté pour exister. Ainsi, l’ensemble des nœuds inférieurs connectés au nœud supérieur sont nécessaires pour garantir l’existence du nœud supérieur. Dans cette logique, le composant supérieur peut ainsi être nommée l’enfant alors que le composant inférieur, le parent. La lecture de la chaîne de valeur peut ainsi être formulé de plusieurs manières.
Centré sur le composant enfant :
- le composant enfant (+haut) a besoin du ou des composant(s) parent(s) (+bas) pour exister
- le composant enfant (+haut) existe grâce au(x) composant(s) parent(s) (+bas)
- le composant enfant (+haut) s’appuie sur le ou les composant(s) parent(s) (+bas) pour exister
Centré sur le composant parent :
- le composant parent (+bas) fait exister le ou les composant(s) enfant(s) (+haut)
- le composant parent (+bas) est nécessaire pour l’existence du ou des composant(s) enfant(s) (+haut)
La lecture de la chaîne de valeur se poursuit verticalement sur toute la hauteur du système qui produit la valeur pour le repère, suivant l'axe des ordonnées.
En conclusion, pour analyser efficacement une chaîne de valeur, commencez par identifier le repère en haut de la chaîne. Ensuite, scannez du haut vers le bas ou du bas vers le haut en suivant la logique des besoins pour comprendre en détail les relations de dépendance entre les différents éléments.
En suivant cette méthode, vous pourrez analyser efficacement la structure et les relations au sein de la chaîne de valeur suivante, permettant une meilleure compréhension des processus et des interdépendances.
Bénéfices d’usage
Les différents outils sont détaillés pour comprendre sur quoi ils reposent pour exister puis faire exister les bénéfices d’usages qu’ils apportent aux personnes qui les utilisent.
Lean Manufacturing
Le Lean Manufacturing, initialement développé par Toyota (Toyota Production System), est une approche systématique visant à éliminer les sources de gaspillage dans les processus de production. Le Lean est perçu comme une approche permettant l’atteinte de meilleure résultat en matière de qualité et de profit. Ainsi derrière le Lean se trouve l’idéologie du mieux se cache la notion de performance et de compétitivité.
La figure ci-dessous se lit du bas vers le haut. En bas à l’extérieur du périmètre des outils se retrouve les choses nécessaire à l’existence des outils du framework Lean. Par exemple, l’Obeya qui est un outil d’amélioration continue du Lean nécessite d’avoir une salle dédiée à son existence. Le outils font ensuite exister les bénéfices d’usages de l’approche Lean. Par exemple, le kankan fait exister l’activité de “Gérer les flux et les stocks” dans un contexte industriel.
Une des particularités de la catégorie d'outil « système de gestion » est qu'elle utilise les outils de perspective de mesure du temps « takt time » et « cycle time » qui existent aussi à l'extérieur du framework. Ainsi, la représentation de ce périmètre dépasse celui du Lean Manufacturing.
Dans une approche toujours basé sur l’optimisation et la performance, la méthode de gestion de la qualité qui pousse le limite encore plus loin est Six sigma.
Six Sigma
L'approche Six Sigma est développée par l'entreprise Motorola dans les années 1980. Cette approche vise à atteindre un niveau de qualité proche de la perfection, avec seulement 3,4 défauts par million d'opportunités (DPMO). Autrement dit, 99,99966 % de ce qui est produit doit être conforme aux exigences qualité. Ce niveau d'exigence fait référence à six fois l'écart-type (sigma) statistique des deux côtés de la moyenne.
Six Sigma s'appuie sur un cadre de pensée centré sur les données pour prendre des décisions objectives. L'approche quantifie précisément les problèmes et mesure les progrès réalisés, ce qui en fait une méthode particulièrement adaptée aux processus matures et standardisés où la réduction de la variabilité est critique pour la qualité du produit final.
La figure ci-dessous se lit du bas vers le haut. En bas à l'extérieur du périmètre des outils se retrouvent les choses nécessaires à l'existence des outils du framework Six Sigma. Par exemple, le Yi repose sur l'existence de la « liste des attentes mesurables des clients », alors que le Xi repose sur l'existence de la « liste des facteurs influents du processus ». Les outils du framework font ensuite exister les bénéfices d'usages de l'approche Six Sigma. Par exemple, le DMADV (Define, Measure, Analyse, Design, Verify) fait exister l'activité de « Créer de nouveaux produits ou processus » dans un contexte industriel.
Nous le verrons dans la partie contexte d’usage, les méthodes Lean et Six sigma s’appliquent à des contexte en très bonne voie d’industrialisation. Ce n’est pas le cas des méthodes agiles qui permettent de gérer la qualité du travail dans l’inexploré.
Méthodes agiles
Les méthodes agiles sont un ensemble de pratiques et de principes qui favorisent l'adaptabilité, la collaboration et l'itération rapide dans le développement de produits et services.
Dans un contexte d'exploration, les méthodes agiles comme Extreme Programming ou Scrum permettent une gestion plus souple et réactive des projets de développement, particulièrement adaptée aux phases précoces d'innovation où l'incertitude est élevée. Les cycles courts, l'intensification des échanges et les rituels favorisent l'amélioration continue itérative. La chaîne de valeur ci-dessous illustre comment les différents outils et pratiques agiles s'articulent pour réduire le coût du changement.
Six sigma, Lean, et les méthodes agiles sont des méthodes fréquentes dans le secteur de l’industrie, et bancaire et des technologies de l’information. L’approche opérationnelle de ces méthodes contient toute une symbolique et un catalogue de rituel qui ne sont pas présent dans l’approche de huit disciplines qui est plus conceptuelle.
Huit Disciplines (8D)
La méthode 8D (Eight Disciplines) est une approche structurée de résolution de problèmes développée initialement par Ford Motor Company. Cette méthode rigoureuse est particulièrement efficace pour traiter les problèmes complexes de qualité et de production. Elle s'articule autour de huit étapes disciplinées :
- D1 - Former une équipe pluridisciplinaire avec les compétences nécessaires
- D2 - Décrire le problème avec des données quantifiables
- D3 - Contenir le problème pour éteindre le “feu”
- D4 - Analyser les causes racines du problème
- D5 - Développer des solutions correctives
- D6 - Mettre en place vérifier l'efficacité des actions correctives
- D7 - Mettre en place des actions préventives pour prévenir la récurrence
- D8 - Féliciter l'équipe pour partager les apprentissages
La complémentarité entre le 8D et le PDCA (Planifier, Faire, Contrôler, Agir) permet une approche à la fois structurée et itérative de la résolution de problèmes, particulièrement adaptée aux environnements standard, maîtriser, et industrialisé.
Le Lean, le Six Sigma et les méthodes agiles sont des approches généralistes. La Théorie des contraintes, quant à elle, se concentre spécifiquement sur la qualité de l'écoulement de la valeur dans la chaîne de valeur. Contrairement aux méthodes précédentes, elle cible donc un problème particulier.
Théorie des contraintes
La théorie des contraintes (Theory of Constraints — TOC), développée par Eliyahu M. Goldratt dans les années 1980, est une méthodologie de gestion de la qualité de l'écoulement de la valeur dans la chaîne de valeur. Cette approche systématique se déroule en cinq étapes itératives : identifier la contrainte principale (souvent mise en évidence par l'approche LEAN), l'exploiter en maximisant son utilisation, subordonner tous les autres processus à cette contrainte, élever sa performance si nécessaire, puis recommencer le cycle. Fondée sur la compréhension du système et l'acceptation des aléas, la TOC vise à optimiser les contraintes qui limitent la performance globale d'un système de production.
Cette méthode repose sur le principe fondamental que chaque système possède au moins une contrainte limitant sa performance globale. En se concentrant sur l'identification et l'optimisation de ces contraintes, les organisations peuvent améliorer significativement leur efficacité opérationnelle et leur productivité. La TOC propose également des outils spécifiques comme le DBR (Drum-Buffer-Rope) pour la planification de la production et les « Logical Thinking Processes » pour l'analyse et la résolution de problèmes complexes. Présentés dans la chaîne de valeur ci-dessous, ces outils permettent d'harmoniser les flux de production et de maximiser le débit de valeur global.
Outre les outils du management de la qualité, des outils de mesure de la qualité existent. La carte de contrôle en est un notamment utilisé dans l’industrie sur les chaînes de production.
Carte de contrôle
La carte de contrôle est un outil d'alerte et de prévention des divergences de la qualité de production au-delà des seuils de tolérance acceptables.
Développée en 1931 par Walter A. Shewhart, elle utilise des graphiques statistiques pour suivre la variabilité d'un processus au fil du temps. Les limites de contrôle, établies à un certain nombre d'écarts-types de la moyenne, permettent de distinguer les variations normales (causes communes) des variations anormales (causes spéciales) nécessitant une intervention.
Les chaînes de valeur des méthodes de mesure ou de gestion de la qualité décrites dans cette partie illustrent leurs bénéfices d'usage. Dans l'hypothèse où nous décidons d'implémenter la méthode Lean qui nous semble la plus bénéfique, qu'est-ce qui nous dit qu'elle est adaptée à notre contexte ? La théorie de l'évolution des marchandises en milieu économique de Simon Wardley permet de savoir si la méthode envisagée est adaptée au contexte de compétitivité du marché. En fonction de vos objectifs, la méthode pourrait améliorer votre performance économique dans le contexte donné. Connaître le bon contexte d'usage de la méthode est un premier pas vers une meilleure conscience stratégique de notre situation.
Contexte d’usage
En fonction du contexte économique dans lequel ces frameworks sont utilisés, ils sont plus ou moins adaptés. Ainsi, il sera plus bénéfique d'utiliser les méthodes agiles dans la phase inexplorée du marché, les méthodes similaires à l'état d'esprit Lean dans la phase transitoire du marché et les méthodes avec l'état d'esprit Six Sigma dans la phase industrialisée du marché. Simon Wardley introduit la notion « no one size fits all » — pas de taille unique — dans son livre Wardley Maps publié en 2016.
La figure suivante extraite du livre est une représentation de l'évolution des méthodes de gestion de la qualité en fonction du niveau de banalisation du contexte de production :
- Esprit AGILE / In-house (internalisé) : Plus puissant dans les phases initiales (inexplorée) à gauche.
- Esprit LEAN / Off the shelf product (sur catalogue) : Atteint son efficacité maximale dans la phase transitoire.
- Esprit SIX SIGMA / Externaliser : Plus efficace dans la phase industrialisée (côté droit de l'évolution).
La figure souligne une des règles du jeu des milieux économiques compétitifs : il n'existe « pas de méthode unique ». L'efficacité de chaque approche varie selon le stade d'évolution du produit ou service, de la genèse à la commodité.
Appliqué à une carte de Wardley, Simon Wardley propose de distinguer la manière de traiter les composants de la chaîne de valeur en fonction de leur banalisation dans le marché. Dans la carte suivante de 2008, il était préférable de consommer un service utilitaire facturé à la consommation dont le taux de défaillance est maîtrisé. Tandis que dans l'idée de maîtriser les coûts d'innovation, il était préférable d'internaliser la gestion des systèmes de manipulation d'image en ligne ou de stockage de photos en ligne.
Dans l’état d’esprit d’adapter le cycle de développement à la phase d’évolution du système de la chaîne de valeur de l’organisation, il sera préférable :
- de “Juste faire” en phase inexploré,
- de Planifier, Réaliser, Contrôler, Agir (PDCA) en phase transitoire,
- de Définir, Mesurer, Analyser, Améliorer et contrôler en phase industrialisée
Généralisation
Dans l'esprit, un produit qui évolue dans un environnement économique compétitif est un produit qui satisfait les conditions de minimum de viabilité dans cet environnement. Les observations de Simon Wardley montrent que ces conditions sont réunies à toutes les étapes de l'évolution quand l'ubiquité et la certitude varient selon la courbe noire. Dans le temps, l'évolution d'un produit s'appelle la banalisation. En fonction du contexte, l'action de banaliser est différente. La première phase de banalisation dans le temps est la phase inexplorée, puis vient la phase transitoire et enfin la phase industrialisée.
État d’esprit dans la phase inexploré
Dans la phase inexplorée, l'état d'esprit à développer est de se focaliser sur la réduction du coût du changement. Un des objectifs est de maximiser les possibilités d'exploration du sujet, de favoriser la découverte et la définition des solutions plutôt que de se concentrer sur leur utilité immédiate. Dans cette phase, intensifier les interactions et les échanges dynamise l'évolution des choses et favorise leur viabilité.
État d’esprit dans la phase transitoire
Dans la phase transitoire, les choses sont déjà bien définies, certaines d'avoir un débouché économique. L'exposition aux consommateur·rice·s, aux utilisateur·rice·s et l'ouverture au grand public se fait par la différenciation. Différence à l'achat qui sera sectorielle, tarifaire, ou fonctionnelle. Dans la phase transitoire, l'état d'esprit à développer est de mettre l'accent sur l'apprentissage et la réduction du gaspillage. Maximiser l'exposition à l'utilité des choses et l'apprentissage sur la question.
État d’esprit dans la phase industrialisé
Dans la phase industrialisée, la valeur d'usage est certaine. L'ubiquité est importante, ce qui a pour conséquence une très bonne estimation du marché disponible. La meilleure manière de faire a été sélectionnée en phase transitoire, ayant pour conséquence la disparition de marge par la différence et l'émergence de la marge par la réduction du coût de production. L'état d'esprit à adopter doit se concentrer sur la réduction des divergences.
Exemples
Les exemples qui suivent montrent l'application des différentes méthodes et approches en fonction du contexte d'évolution. Le tableau ci-dessous synthétise les différentes méthodes et outils adaptés à chaque phase d'évolution, de la phase inexplorée à la phase industrialisée. Cette classification qui relève purement de mon analyse qualitative aide à comprendre quand et comment utiliser chaque approche pour maximiser son efficacité.
Méthode | Phase inexplorée | Phase transitoire | Phase industrialisée |
---|---|---|---|
Achat | Internalisation, Investissement, Taux journalier moyen, obligation de moyen | RFQ, concours, achat sur étagère, forfait, | Appel d’offre, abonnement, facture à la consommation, obligation de résultat |
Qualité | JDI, Méthodes agiles | PDCA, LEAN | DMAIC, 8D, Carte de contrôle, SixSigma |
Décision | Cynefin | TOC, Cynefin, Wardley Maps | Wardley Maps |
Reporting d’information | Sensitif | KPI | Donnée Mesurable, SMART |
Connaissances | Articles, blog, expérience | Wiki, Formation | Normes, standards |
Pilotage | Par le fonctionnement | Par la marge | Par le volume |
Entreprendre | Pretotyping, investissement | Lean startup, autofinancement | M&A, Reprise, Franchise, Monopole, Service public |
Références
- Carte de Wardley originale sur mapkeep — Mathieu Jolly — publique — https://mapkeep.com/MathieuJolly/.wmp/01JRYW33859D104520V5HSQQ78
- Wardley, Simon (2016) Wardley Maps , Pages: +300 . Traduction française par Mathieu Jolly : https://www.wardleymaps.co/book